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28 mars 2019 4 28 /03 /mars /2019 09:05

Ce titre du premier roman de Tibor Fischer vient d'une expression hongroise qui affirme que le pire endroit où l'on peut se trouver c'est "sous le cul d'une grenouille au fond d'une mine de charbon", une expression un brin triviale, j'en conviens, qui signifie qu'on se trouve vraiment dans une situation difficile, dont on ne voit pas l'issue, un peu comme en français "être plus bas que terre". Tibor Fischer est un écrivain d'origine hongroise, comme son prénom l'indique clairement. Ses parents, basketteurs professionnels selon Babelio, ont fui la Hongrie en 1956 pour s'établir en Angleterre et c'est là que Tibor est né en 1959. C'est sûrement pour cela qu'il écrit en anglais ...

Alléché par une présentation trouvée ici https://www.hongriebudapest.com/, un autre blog consacré à la Hongrie que je me permets de vous recommander, je me suis donc procuré "Sous le cul de la grenouille" dans ma bibliothèque préférée. J'en suis arrivé aujourd'hui à la page 180 sur 317 (éditions Balland de 1998).

Suis-je déçu ? Honnêtement oui, un peu ... Pourquoi ? C'est difficile à dire ... Il y a, je trouve, quelque chose d'un peu "forcé" dans les aventures parfois guignolesques de cette bande de jeunes basketteurs qui essaient, comme ils peuvent, de passer entre les gouttes du "socialisme triomphant". On a droit pourtant à toutes les scènes auxquelles on est en droit de s'attendre : le viol collectif commis par des soldats russes lors de la "libération" de Budapest en décembre 1944 (page 39), les arrestations "secrètes" et absurdes de l'AVO (police "secrète" hongroise) en 1946 (pages 45-59) puis en 1950 (pages 160-169), le camp d'entraînement militaire, son sergent-chef sadique et ses pauses de formation politique (pages 171-179) ... etc etc. Oui je crois que tout y est, probablement grâce aux souvenirs des parents de Tibor Fischer, et à une bonne part d'inventivité de la part de l'auteur. On devrait donc être bien content d'en apprendre un peu plus sur cette période obscure (le livre court par épisodes de décembre 1944 au 23 octobre 1956) que beaucoup aujourd'hui préféreraient oublier. On devrait facilement partager l'ennui, les angoisses et les espoirs de Gyuri, que l'on peut considérer comme le protagoniste du roman. Et pourtant quelque chose ne "colle" pas, quelque chose qui empêche le lecteur (ou en tout cas ma modeste personne) de réellement participer à ce qu'il lit.

Prenons une scène particulière qui nous servira d'exemple (pages 77-100) : en janvier 1949 Gyuri, Neumann et Ladanyi ont à se rendre dans le village où le dernier des trois a grandi. Il s'agit d'y régler un différend foncier entre le village et un certain Farago, pour ainsi dire un démon sur terre. Et nous assistons alors à un duel de gloutonnerie digne de "La grande bouffe" de Marco Ferreri. Qui, de Ladanyi ou de Farago, calera le premier ? A votre avis ? Eh bien oui c'est Farago qui tombe de sa chaise et trouve tout juste assez de force pour signer le papier reconnaissant la propriété du village sur le vignoble qui était en litige. Une scène gargantuesque donc, mais très peu crédible. On trouve pourtant ici et là quelques notations savoureuses : "tout ce qu'on pouvait dire de ce paysage, c'est qu'il commençait où le ciel finissait" (page 79) ou encore "C'était comme la Hongrie, placée entre l'Allemagne et l'Union Soviétique. Tu parles d'un choix ! En quelle langue préfères-tu être fusillé ?" (page 89).

J'avance, j'avance, un peu péniblement je l'admets, mais tout de même j'avance ... Pour vous donner un court exemple de ce que j'appelle de l'exagération systématique, arrêtons-nous à la page 203, nous sommes en novembre 1955 et Gyuri est dans le train ... "L'homme ronflait, ronflait si fort, à si grand fracas qu'un accro du pardon n'aurait pu y tenir. Gyuri et les autres passagers, dont les réserves d'indulgence n'avaient rien que d'ordinaire, voyaient leur longanimité broyée comme un puceron sur l'enclume." Voyez le genre ? On est donc dans un compartiment de train où, scène on ne peut plus convenue, un voyageur se met à ronfler. Soit ... mais il ronfle énormément, gigantesquement, inhumainement ... c'est obligé, et donc un peu ennuyeux ... Un autre exemple, un peu plus loin ? Gyuri est arrivé à Szeged, où il a rencontré Jadwiga, une étudiante polonaise dont il est, bien sûr, tombé immédiatement amoureux... Seulement voilà ... "Apprendre que Jadwiga était mariée avait réduit en miettes toutes ses aspirations pieusement façonnées, comme des vases de Chine dans les ruines d'un magasin de porcelaine sur lequel un bombardier prospère aurait largué tout son chargement" : c'est ce qu'on appelle employer l'artillerie lourde !

Voilà, j'ai fini le livre, je l'ai lu jusqu'au bout ... Au moment de conclure je ne voudrais pas paraître trop sévère : la fin, qui raconte le soulèvement de 1956, n'est pas si mauvaise et elle se lit avec plaisir et intérêt. Donc voilà, "Sous le cul de la grenouille" n'est sûrement pas le livre du siècle mais il pourra intéresser quelqu'un qui, comme moi, est curieux de tout ce qui concerne la Hongrie !

"Sous le cul de la grenouille" de Tibor Fischer
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