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7 décembre 2008 7 07 /12 /décembre /2008 08:43

Sziasztok !

L'autre jour, on avait rendez-vous, Ma Douce et moi, au musée des Beaux Arts. Il y avait là une expo de Ferdinand Hodler, un peintre symboliste suisse, qu'on voulait voir depuis un moment et qui, en plus, allait être bientôt retirée de l'affiche. Rendez-vous donc, à 14h45 (c'était un vendredi) devant l'entrée du musée qui donne sur la place des Héros.
 

ça, c'est une photo vachement artistique de la place des Héros, mais qui est prise de l'autre côté, côté zoo, si on peut dire, il faudra que je vous parle du zoo un de ces jours, d'accord ?
 
J'avais dit : "14h45, tu es sûre ? pas 14h46 ?", pour rigoler, et parce qu'il arrive que Ma Douce me fasse un peu attendre à un rendez-vous. Mais bon, elle travaille, elle, et donc elle est moins libre de ses déplacements que moi, qui suis en dis-po-ni-bi-li-té ... Ben j'aurais mieux fait de me taire ! D'abord il a fallu que j'étende une lessive pour ne pas la laisser froissée dans la machine, ce qui m'a mis un peu en retard. J'ai regardé l'heure à Déli (j'avais préféré ne pas mettre de montre pour ne pas m'énerver inutilement), et il était déjà 14h32. Pas la peine d'espérer être au musée 13 minutes plus tard ! Mais je pouvais essayer de limiter les dégâts. J'ai donc dévalé les escaliers mécaniques :
 

qui sont grands et pleins de courants d'air ...

Et là, bien sûr, ça n'a pas loupé : le métro était là, mais le temps d'arriver sur le quai, les portes se sont refermées (et je ne vous conseille pas d'essayer de monter quand même, il y a de quoi être coupé en deux !), et obligé d'attendre le suivant. Trois fois il a été annoncé, mais jamais il ne venait ! Finalement, on l'a vu arriver, suant et soufflant, et je crois que personne n'avait trop envie de monter dedans. Mais que faire ? Attendre le suivant, ce qui m'aurait mis un peu plus en retard ? Donc j'ai pris mon courage à deux mains et je suis monté direction Deák Ferenc tér où je devais changer pour prendre la ligne n°1 ... qui est la plus ancienne d'Europe ! Puis, dans les couloirs de Deák, direction Mexikói út, droit vers le nord. Comme dans un mauvais film, ou un cauchemar à deux sous, je suis à nouveau arrivé sur le quai au moment où le métro partait !
Bref, quand je suis sorti à l'air libre sur Hösök Tere, j'avais un bon quart d'heure de retard ! J'ai tout de suite vu Ma Douce, dans son grand manteau noir, qui attendait sur les marches du musée. Je lui ai fait de grands signes, plein, mais elle a mis un moment pour me voir, peut-être parce qu'elle n'avait pas ses lunettes ? On s'est enfin rejoints sur la grande esplanade et je me suis confondu en excuses et explications : lessive, métro, panne ?, encore métro, malchance, ... Elle m'écoutait en souriant, ce qui était plutôt bon signe. Quand j'ai eu fini de bredouiller, elle m'annonça en rigolant ... que le musée était exceptionnellement fermé, en raison d'un raout de prestige qui s'y donnait !
Bon ... mais que faire alors ? Il pleuvait, il faisait un peu froid, il était 3 heures donc plus qu'une grosse heure avant la nuit ... comme on était avenue Andrássy, les Champs-Elysées de Budapest, je lui ai proposé d'aller visiter la Maison de la Terreur. On était déjà passés devant cette grosse maison bourgeoise plusieurs fois, on avait longuement regardé les médaillons alignés sur la façade et renfermant les photos de victimes du régime communiste, mais on n'était pas encore entrés. La porte s'ouvrit toute seule, ce qui était inquiétant ...

Ainsi, dès l'entrée, c'était clair : seraient mis sur le même plan deux régimes dictatoriaux dont la Hongrie avait eu à souffrir, le nazisme et le communisme. Cela n'a pas manqué de déclencher des polémiques à l'ouverture de ce musée en février 2002, d'autant que nombre de responsables "ex-communistes" étaient (et sont toujours) encore vivants et ... responsables ! Mais il faut dire aussi que pas mal d'"ex-nazis" (qui s'appelaient les "croix fléchées" ou "nyilaskeresztesek") ont été recrutés dans les rangs communistes dès1945, après avoir promis d'abandonner leurs "fausses idées" !
En fait, jusqu'en mars 1944, Budapest a représenté un refuge pour de nombreux juifs. Beaucoup d'entre eux sont venus d'Autriche, d'Allemagne et de Slovaquie. Mais au printemps 44, les Allemands ont imposé un 1er ministre  qui a mis en place les lois les plus dures : entre mai et juillet, en 3 mois seulement, 435 000 juifs de Hongrie ont été déportés !!! A ce moment ne subsistaient "que" les 200 000 juifs de Budapest. Ce sont les "croix fléchées" (l'équivalent de "notre" Milice, à peu près) qui, sur l'instigation d'Hitler, ont pris le pouvoir en octobre1944 et qui s'en sont occupés de telle manière qu'ils n'étaient plus que 100 000 à la libération de la ville, en février 45. Certaines scènes atroces, comme celle de tous ces gens que l'on a forcés à se déshabiller sur un quai avant de les jeter dans le Danube, sont dans toutes les mémoires d'ici, je pense...

un mémorial intelligent, je trouve, et qui vous prend "là" ...

Il nous fallut monter au 2ème étage d'une grosse maison comme il y en a des milliers ici, avec cour intérieure et larges coursives à tous les étages On pouvait imaginer sans peine les portes des bureaux claquer, les ordres aboyés, les prisonniers qu'on sortait d'ici pour les faire entrer là ..."Toi qui entres ici, abandonne toute espérance" ou quelque chose comme ça, non ? Remarque amusante : la "Maison de la Terreur" s'appelait en ce temps-là la "Maison de la Loyauté" ...

Au 2ème, voici le domaine des "croix fléchées" :

"Feu et malédiction sur tout ce qui est juif" voilà l'admirable slogan qui figure en exergue à ce banquet !

Un lecteur attentif aura déjà remarqué les écrans alignés sur le mur de droite. Et en effet, dans pratiquement chaque salle (sauf dans les caves), c'était la même chose : la nouvelle dictature (je sais, le mot n'est peut-être pas trop bien choisi à cet endroit, mais je n'en vois pas d'autre, désolé) des nouvelles technologies a frappé fort, à la Maison de la Terreur ! Dans chaque pièce d'exposition une profusion d'écrans, chacun diffusant son message visuel "en boucle" et obligeant le visiteur à zapper d'un écran à l'autre. Oh bien sûr, on peut toujours s'arrêter sur un témoignage, et c'est ce que nous avons fait, mais l'audition et même la vision sont sans cesse appelés, voire parasités, par les écrans voisins, le fond sonore, ... Personnellement, j'ai préféré, et de loin, les pièces dénuées de toutes ces fioritures audiovisuelles, les pièces "brutes" en quelque sorte, où l'imagination avait la place de se déployer.
Au 1er étage (un petit film assez amusant montrait des Hongrois de toutes conditions se dévêtissant pour enfiler les tenues caractéristiques du "socialisme triomphant") c'était le domaine de l'ÁVO, le Département de Sûreté de l'Etat, et plus tard de l'ÁVH, équivalent du KGB et de tant d'autres polices secrètes. Entre 1945 et 1948, elle a interné plus de 40 000 personnes dans le pays !
L'ÁVO, qui avait une image à faire respecter, débarquait dans une grosse conduite intérieure noire, et plutôt la nuit. On embarquait la personne suspectée, ou dénoncée, et on n'entendait plus parler d'elle pendant un bon moment, si ce n'est jamais. Et ainsi, jusqu'au "Changement"  de 1989, environ 1/3 de la population, soit 3 millions de personnes, a eu affaire plus ou moins gravement avec les services de sécurité. Le passage par les geôles du sous-sol ne devait pas être de tout repos ...Le froid, la faim, les coups et les humiliations, la torture, tout était bon pour mettre les récalcitrants dans le "droit chemin". Et si vraiment il n'y avait rien à faire, s'ils s'avéraient irrécupérables, on les pendait, tout simplement, dans un petit coin.
Bien sûr, il y a eu 1956, le 23 octobre. Ce jour-là la révolte générale a éclaté contre tout ça. Mais après quelques jours de liberté retrouvée (l'ÁVH a d'ailleurs été officiellement dissoute à cette époque-là, et ses "successeurs" ont dû quitter le 60 de l'avenue Andrassy ... Péter Gábor, le chef de l'ÁVH, est mort tranquillement en 1993, après s'être reconverti comme bibliothécaire ...) une répression terrible de l'armée russe s'est déclenchée, faisant 3 000 morts. L'ÁVH (ou ses "successeurs") bien sûr n'a pas été en reste et ses gégènes ont tourné à plein régime : la litanie des condamnations à mort a commencé au mois de décembre. On a même condamné un gamin de 16 ans mais, n'étant pas des bêtes, on l'a fait attendre jusqu'à 18 ans pour l'exécuter... Mais je vous reparlerai plus longuement de ces événements-là ...
Voici le drapeau des insurgés de 56 : devinez un peu ce qu'il y avait à la place du trou ?

Quand on est ressortis sur Andrássy, il pleuvait toujours mais il faisait nuit. Le long du mur extérieur, on a revu défiler les médaillons des victimes des exécutions de 57-58 : électriciens, serveur, chauffeur de tramway, des gens du peuple, pour la plupart ... Sans doute n'avaient-ils pas compris que le parti travaillait pour eux ?

Et aujourd'hui ? me direz-vous, on est bien loin de tout ça ? Sûrement, sûrement, mais apparemment certaines habitudes ont du mal à disparaître. Dernièrement un scandale lié à des écoutes (illégales, bien sûr ...) a éclaté parmi les politiciens : une candidate à la tête d'un parti politique aurait fait espionner sa rivale ... à moins que ce ne soit un "coup monté" par ladite rivale, ou même par les communistes (nous y voilà !) pour la discréditer !?
Comme vous le voyez, la démocratie hongroise a encore (de longs et) beaux jours devant elle !

Sziasztok !



 
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commentaires

L
Impressionnante de froideur, cette photo du couloir aux blasons.<br /> "Toi qui entres ici, abandonne toute espérance"... C'est tiré d'où, ça, déjà?
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