Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Choses vues, ressenties, rencontres, photos prises pendant mon séjour à Budapest, en Hongrie, puis lors de mes nombreux voyages entre la France et la Hongrie.

On m'appelait la Comtesse Rouge ...

Attention ! pas de confusion ! cet article va bien parler de la "Comtesse Rouge" (vörös Grófnő) et non de la "Comtesse sanglante" (véres Grófnő). 

"Vörös" en hongrois cela veut dire "rouge", comme le vin (vörös bor) ou ... comme l'étoile ! (vörös csillag) et cette comtesse-là, née Andrássy (c'est-à-dire appartenant à l'une des familles les plus riches et les plus puissantes de Hongrie), a épousé non seulement Michel Károlyi qui devait devenir président de la toute jeune république démocratique hongroise, mais aussi ses idées "socialistes", ce qui, dans leur milieu, était passablement gonflé ! 

Quant à la comtesse sanglante, vous la connaissez peut-être mieux puisqu'elle fait de temps à autre le buzz chez les amateurs de sensations fortes : ce n'est autre qu'Erzsébet Báthory qui vécut au 16ème siècle et qui n'aimait tant rien, dit-on, que de se baigner dans le sang de jeunes vierges. Donc rien à voir entre les deux comtesses quoiqu'on note, dans l'autobiographie à partir de laquelle cet article est écrit, un curieux télescopage à la page 48 : "L'objet de mon effroi était un portrait d'ancêtre représentant une femme au visage cruel [...] Ce portrait était celui d'Elisabeth Báthory, comtesse sadique qui assassina ou fit assassiner d'innombrables jeunes filles." Curieux, non ?

Je passerai vite sur l'enfance et l'adolescence de Katalin, telles qu'elle les raconte : une enfant rebelle, une adolescente exaltée, rien de bien original, somme toute. C'est après la rencontre avec Michel Károlyi que cela devient vraiment intéressant.

Il faut dire que leur mariage, après quelques péripéties dignes de ces milieux conservateurs, finit par avoir lieu le 7 novembre 1914, soit peu après le déclenchement de la 1ère guerre mondiale. Et bientôt, à force de discussions et même de confrontations, la jeune épouse s'aperçoit que la politique peut servir à autre chose qu'à la simple conservation des privilèges acquis. Son époux le comte Károlyi, non content d'être pacifiste, n'était pas loin d'être socialiste, encore que le mot ait perdu beaucoup de sa force aujourd'hui.

Cette situation permet à la Comtesse de "prendre conscience d'une monstrueuse injustice sociale, des inégalités flagrantes que la guerre ne faisait que souligner" (page 164). Elle découvre bientôt le féminisme également grâce à la rencontre de Rosa Schwimmer, qui devait recevoir le "prix mondial de la paix" en 1937. C'est peu après qu'elle gagne son surnom, attribué par le ministre de la Justice : "Si Kata la rouge continue ses intrigues, je vais la boucler !"(page 170).

Le plus intéressant dans ce livre c'est d'y trouver un récit "vécu" de tous ces événements si importants pour la Hongrie, vus à travers la lorgnette de quelqu'un de très bien placé et de fortement impliqué dans leur déroulement. Après avoir lu tant de livres d'historiens sur le sujet cela fait du bien, même s'il ne faut pas oublier le côté subjectif de de ce récit. Ceci dit, quand les événements s'accélèrent ce n'est pas forcément plus compréhensible. Qu'on en juge plutôt : " Le jour précédent, les Autrichiens avaient manifesté contre Andrássy : ils ne voulaient pas de lui. Les Tchèques avaient déclaré leur indépendance et Tomas Masaryk avait été élu président. Des officiers allemands, sachant qu'Andrássy était prêt à signer une paix séparée, le considéraient comme un traître et voulaient l'abattre. Enfin la police hongroise s'était ralliée au Conseil National." (pages 186-187). C'est l'inconvénient du petit bout de la lorgnette, elle ne permet pas de prendre suffisamment de recul.

Un autre inconvénient c'est que certains personnages, trop familiers à l'autrice, perdent leur identité officielle. Ainsi le comte Gyula Andrassy, ministre des affaires étrangères de Hongrie tout de même, est le plus souvent appelé "oncle Duci" ! Quant à l'époux bien-aimé, le comte Károlyi, il n'est autre, bien sûr, que "Michel" (Mihály), même quand il devient président de la 1ère république hongroise ! Une république qui n'a duré que 171 jours, avant la démission au profit de Béla Kun et l'exil, d'abord en Tchécoslovaquie. Mais c'est bientôt la Terreur Blanche qui règne en Hongrie, celle de Horthy, et leurs vies sont menacées par des projets d'attentats fomentés par les forces réactionnaires. Alors nouvelle fuite en Italie, mais pas pour longtemps car ils sont arrêtés par la police fasciste et extradés en Autriche, à la portée de leurs ennemis mortels. Nouvel exil en Dalmatie, à Dubrovnik, puis à Londres. C'est drôle : même si leur vie matérielle est difficile ils continuent de fréquenter les riches, les bien-nés et les puissants. Certes ce n'est pas autant qu'en Hongrie, loin de là, mais tout de même il leur arrive de rencontrer chez lui H. G. Wells himself et de repartir, éblouis par le "feu d'artifice que représentait l'esprit de Wells." (page 254). Puis ce sont les Etats-Unis où "Kata" donne une tournée de conférences et tombe malade de la typhoïde. Puis Paris, où Mihály pense qu'il sera plus utile pour la cause hongroise qui lutte contre Horthy.

Quelques lignes, écrites en 1929, font froid dans le dos : "Les crises devenaient de plus en plus sévères. Les scandales devenaient notre pain quotidien. Les valeurs de la démocratie se décomposaient. On ne voulait pas voir le danger fasciste. La France présentait tous les signes de la décadence qui devait avoir, dis ans plus tard, de si désastreuses conséquences. Et la guerre nous paraissait inévitable."  (page 294). On s'y croirait, n'est-ce pas ?

Kata et Mihály entreprennent un voyage en Union Soviétique pour voir de leurs yeux l'accomplissement de ce grand rêve humaniste. Ils y rencontrent ... Bernard Shaw ! puis le fils de Tolstoï, qui se plaint amèrement de la récupération de son père. Il y a aussi des lignes qui amusent : "Comme je souffrais de bronchite chaque hiver, Michel insista pour que je passe la saison en Egypte." (page 305). Certes ce n'est pas drôle de souffrir de la bronchite, mais qui aurait l'idée d'aller en Egypte pour en atténuer les effets ? Là-bas elle discute du communisme avec ... l'Aga Khan !

Après un court séjour à Paris, c'est à nouveau Londres où il faut subir le Blitz, les bombardements allemands.

En 1946, soit plus de vingt-cinq ans après le départ pour l'exil, c'est le retour triomphal en Hongrie : les propriétés du comte Károlyi, confisquées par le régime Horthy, lui sont restituées et on lui remet les clés de sa maison natale, qu'il s'empresse d'offrir à la ville de Budapest. "Kata" fonde un foyer pour les enfants de la guerre, ceux qui n'avaient plus ni parents ni domicile, ... qui fut bientôt nationalisé. Puis c'est le retour à Paris, où "Mihály" a accepté le poste de "ministre de Hongrie". Pourquoi ? Le livre n'en dit rien. Peut-être pour servir de lien entre l'Europe centrale et le monde occidental ? En espérant "que la Hongrie pourrait assumer un rôle pacificateur" ? (page 364) Mais la situation empire en Hongrie, Rákosi suivant fidèlement les traces de Staline. "Mihály", fort de son histoire et de son nom, ne désespère pas d'influer sur les évènements et c'est ainsi qu'il envoie un témoignage concernant le procès Rajk, en essayant d'innocenter celui-ci. Comme vous le savez rien n'y fit et "Mihály" rompt avec le gouvernement hongrois.

Puis c'est l'installation à Vence, pour "raisons de santé", et "Mihály se met à écrire ses Mémoires, que "Kata" traduit immédiatement en anglais. Les ponts sont coupés et leur amertume est d'autant plus grande que c'est l'avènement d'un socialisme humaniste qui a été le combat de toute leur vie et qu'il n'a pas pu voir le jour. "Mihály" meurt le 19 mars 1955. Les commentaires de Kata sur la révolution de 1956 sont intéressants même si elle ne s'étend pas beaucoup sur le sujet, par prudence peut-être ? Kata ne sait plus trop quoi faire de sa vie mais elle se rend compte que sa mission consiste à faire connaître "Mihály", et à le laver de toutes les calomnies dont il a fait l'objet. Finalement était-ce là le but de ce livre, On m'appelait la Comtesse Rouge, paru aux Editions du Pavillon en 1978 ?

Même si je suis pas fan des "récits de noblesse" style Points de vue / Images du Monde, je dois dire que j'ai lu ce livre avec plaisir, et que j'ai été sensible au ton de "Kata", mélange de naïveté et de réalisme, et aussi au grand amour qui l'unissait à "Mihály", son cher Michel ... En plus cela nous amène un point de vue particulier, "éminemment subjectif", sur des événements dont de nombreux autres livres "historiques" sont pleins.

Ci-dessous une photo extraite du livre, après la page 256 :

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
Bonjour, Leo, j'ai lu avec intérêt résumé du livre de la femme du comte Károlyi (je ne l'a pas lu en français - tout comme vous, je ne suis pas vraiment fan des (auto)biographie d'aristos déchus qui se penche sur le passé avec nostalgie. Bien sûr, je ne connaissais rien de ces détails. Dans nos livres d'école, deux phrases sur Károlyi. Et je quitte la Hongrie en 1974, bien avant le changement du régime et le début des grands déballages... <br /> <br /> Bref, merci pour ce complément utile et intéressant pour compléter quelques lacunes!
Répondre
J
Merci à vous pour votre message ! Köszönöm szépen !